Publicité

Interview

Fabien de Marassé Enouf: «Une île tropicale comme Maurice ne devrait plus avoir à choisir entre l’eau potable et l’eau d’irrigation»

19 février 2025, 18:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Fabien de Marassé Enouf: «Une île tropicale comme Maurice ne devrait plus avoir à choisir entre l’eau potable et l’eau d’irrigation»

Fabien de Marassé Enouf, «Chief Executive Officer» d’Alteo.

Quel a été le bilan de la production et de la performance financière d’Alteo ces dernières années, en mettant en lumière les points forts ainsi que les faiblesses ?

Les deux dernières années ont été particulièrement favorables pour le secteur cannier et Alteo, avec des performances records lors des années financières 2022-2023 et 2023-2024. Lors de la dernière année financière, nous avons en outre bénéficié d’une bonne récolte et de conditions de marché très favorables sur le marché européen, ce qui a contribué à des résultats financiers solides.

Cela étant dit, les résultats seront certainement différents cette année. En effet, la récolte 2024 (comptant pour l’année financière 2024-2025) a été très moyenne, avec des rendements plus faibles, en grande partie à cause de la fin tardive de la campagne 2023 qui a eu un impact négatif sur le cycle de croissance de la canne. Et la sécheresse de ces derniers mois n’a pas arrangé les choses. De plus, nous assistons depuis quelque temps à une normalisation des conditions de marché en Europe et nous devons rester extrêmement vigilants quant à la gestion de nos coûts de production, qui ont fortement augmenté ces dernières années.

Au niveau de notre cluster Property, nous avons connu une belle dynamique l’année dernière, marquée par la fin du projet Anahita IRS et le lancement de notre Smart City – Anahita Beau-Champ, qui ouvre un nouveau chapitre de notre développement immobilier.

Quelles stratégies l’entreprise a-t-elle mises en place pour faire face aux défis économiques récents ?

Face aux défis économiques et aux incertitudes du marché, nous avons mis en place une stratégie axée sur l’innovation, le développement durable et la diversification. Nous avons investi massivement dans l’agriculture de précision, en intégrant la technologie dans nos opérations pour maximiser notre efficacité. Ainsi, nous avons mécanisé l’intégralité du processus de culture de la canne, de la préparation du sol à la récolte, ce qui nous permet de réduire notre dépendance à la main-d’œuvre et d’optimiser nos coûts de production.

Nous avons aussi mis en place de nouvelles méthodes de fertilisation, qui sont à la fois plus économiques et plus respectueuses de l’environnement, en ligne avec notre vision et les exigences de la certification Bonsucro.

Enfin, nous avons revu notre stratégie dans le secteur immobilier : nous nous diversifions davantage en attaquant de nouveaux segments de marché et en développant des projets dans différentes régions du pays. Notre objectif n’est pas de vendre de la terre, mais plutôt de mettre en œuvre des projets qui permettent à notre région, l’est de l’île, de grandir et d’avancer durablement.

Quelles sont les tendances du marché ou les innovations qui ont le plus contribué à la croissance financière d’Alteo ?

Les principaux leviers de croissance pour Alteo ces dernières années ont été l’agriculture de précision et la montée en puissance des sucres spéciaux puisque ces derniers nous permettent de nous positionner sur des marchés plus rémunérateurs et moins volatils.

Dans le domaine immobilier, la transition vers des projets plus variés et l’intégration d’éléments de développement durable ont renforcé l’attractivité de nos offres. Anahita Beau-Champ est un bon exemple de cela, puisque notre Smart City a été pré-certifiée WELL Community, un gage de l’importance que nous accordons au bien-être des communautés qui nous entourent et qui feront vivre ce projet. Et le marché a répondu très favorablement à notre approche, puisque la majorité des lots mis en vente ont très rapidement trouvé preneur.

Où en est actuellement le secteur de la culture de la canne à sucre chez vous ? Quels sont les principaux défis et opportunités que vous rencontrez dans ce domaine ?

La canne à sucre reste un pilier central de notre stratégie de développement. Comme mentionné plus haut, nous avons engagé une transformation profonde du secteur, axée sur la modernisation et l’innovation technologique. Nous avons investi plus de Rs 500 millions ces cinq dernières années pour le derocking et la mécanisation complète de nos plantations, nous permettant d’exploiter de manière durable nos terres agricoles, remettant sous culture de canne plus de 500 hectares. Nous continuerons à le faire dans le futur en ajoutant 150 hectares par an à cette culture.

Le secteur fait néanmoins face à des défis non négligeables, en particulier la raréfaction de la main-d’œuvre et les contraintes sur l’irrigation avec les sécheresses récurrentes. Nous voulons croire dans l’avenir de la canne, mais il est urgent que des mesures soient prises pour garantir cet avenir pour toute l’industrie. Comme toujours, nous sommes prêts à collaborer avec toutes les instances concernées afin de trouver les meilleures solutions pour ce secteur.

Avec la sécheresse qui prévaut, prévoyez-vous une baisse de la production pour la campagne cannière de 2025 ?

La sécheresse aura certainement un impact sur les rendements de cette année. Cela confirme l’urgence d’investir davantage dans des solutions innovantes de captage, de distribution d’eau et d’irrigation adaptée face au changement climatique. Avec ces investissements et la mise en place de mesures appropriées, une île tropicale comme Maurice ne devrait plus avoir à choisir entre l’eau potable et l’eau d’irrigation.

Comment Maurice peut-elle atteindre la sécurité alimentaire et quel rôle joue Alteo dans cette dynamique ?

La sécurité alimentaire repose sur des solutions d’envergure capables de répondre aux besoins croissants de la population. Préserver la culture vivrière traditionnelle est important, mais ne sera pas suffisant car ce secteur est trop exposé aux attaques biologiques et aux aléas climatiques. C’est pour cette raison que nous avons décidé d’investir dans des projets agro-business en environnement contrôlé et en misant sur la technologie quand c’est possible, notamment la culture de tomates dans des serres intelligentes, l’élevage de volailles, l’élevage de cerfs en pâturage. Cela ne nous empêche pas de continuer de produire de la pomme de terre et d’autres produits maraîchers en culture de rotation.

Pouvez-vous nous parler de la création d’Origin’Est et de ses ambitions ?

La création de cette marque est le résultat d’un constat inquiétant dans notre secteur : l’utilisation excessive de pesticides chimiques ! C’est dans cette optique que nous avons investi dans des techniques de smart farming et créé la marque Origin’Est pour proposer des produits sains, sans pesticides de synthèse, au marché local. Nous souhaitons contribuer à la sécurité alimentaire de notre pays, mais nous voulons le faire de manière responsable.

Origin’Est est une initiative qui incarne notre vision d’une agriculture durable et responsable. Nous avons commencé en 2021 avec la création de serres spécialisées et équipées des dernières technologies à UnionFlacq dans lesquelles nous cultivons plusieurs variétés de tomates et de laitues. Nous sommes en ce moment en pleine phase d’expansion pour passer à une production annuelle de 400 tonnes de tomates. À ce jour, nos investissements se chiffrent à Rs 100 millions.

En parallèle, nous avons investi Rs 40 millions pour aménager 250 hectares dédiés à l’élevage de cerf nourris exclusivement à l’herbe, là encore garantissant un produit de qualité pour le marché local. Notre objectif est d’augmenter la taille de notre élevage pour atteindre les 500 hectares d’ici deux ans et ainsi produire annuellement 40 tonnes de viande pour les consommateurs mauriciens.

Quels sont les projets à venir cette année qui vous enthousiasment particulièrement ?

Nous avons plusieurs projets passionnants en 2025 ; comme mentionné plus haut, nous étendons nos activités agro-business.

Dans la filière cannière, nous continuerons nos efforts dans l’aménagement des terres agricoles et le développement de nos sucres spéciaux. Récemment, nous nous sommes lancés dans des essais de compostage à grande échelle, ce qui pourrait avoir un impact majeur sur la qualité de nos sols, nos techniques agricoles et notre utilisation de fertilisants à l’avenir.

Enfin, les premières phases d’Anahita Beau-Champ vont s’accélérer, avec des avancées significatives sur les infrastructures et le développement commercial. Un des projets majeurs est d’ailleurs la construction des nouveaux bureaux d’Alteo sur le site de l’ancienne usine de Beau-Champ, un site historique qu’il nous tient à cœur de réhabiliter.

Quelle est la vision derrière Anahita Beau-Champ ?

Anahita Beau-Champ est une Smart City qui repose sur trois principes clés : authenticité, bien-être et nature, en ligne avec les piliers de notre pôle Property : Healthi-Est, Green-Est, Smart-Est. Nous voulons offrir un cadre de vie unique où l’on peut vivre, travailler et se détendre dans un environnement inspiré de l’identité rurale de la région.

Le projet intègre des pôles éducatifs, des infrastructures commerciales et des espaces de loisirs, le tout dans une approche écoresponsable et respectueuse du cadre naturel. Comme mentionné plus haut, Anahita Beau-Champ est pre-certifié WELL Community, une certification internationale qui souligne le focus d’Alteo sur le bien-être de ceux qui vont vivre, travailler ou profiter de cette Smart City à l’avenir.

Quelles sont les priorités stratégiques du groupe pour les cinq à dix prochaines années?

Notre objectif est clair : préserver et moderniser l’agriculture à l’Est tout en poursuivant des projets de développement durable. Nous continuerons à investir dans le derocking, la modernisation de l’agriculture et des projets alimentaires stratégiques.

En parallèle, les projets de notre pôle Property et en particulier Anahita Beau-Champ deviendront des modèles de développement intégré, avec des infrastructures pensées pour le bien-être et la durabilité.

L’entreprise vend-elle des parcelles de terrain ou des équipements ?

Alteo vend des terrains, mais uniquement dans une logique stratégique et maîtrisée. Nous avons toujours intégré la réalisation de certaines parcelles de terre peu viables et non productives dans nos plans stratégiques, mais cela reste une approche ciblée et non une vente généralisée.

Quant aux équipements, nous ne sommes pas dans une démarche de vente.

Publicité