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Pamela Bapoo-Dundoo: L’île durable

30 avril 2014, 11:17

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Pamela Bapoo-Dundoo: L’île durable

« L’île Maurice se retrouve aujourd’hui à la troisième place de la liste des pays dont la biodiversité est la plus menacée au monde… », ce sont là les propos de Pamela Bapoo-Dundoo, conseillère écologique et coordinatrice nationale du GEF Small Grants Program. Celle-ci se prononce sur l’économie verte.

 

 

5 à 10 millions d’années plus tôt, dans la zone se situant légèrement au nord du tropique du Capricorne dans l’océan indien, des panaches de magma impressionnants transpercent la plaque océanique. Dans un bouillonnement assourdissant et inimaginable, la lave visqueuse en fusion rejetée des entrailles de la terre se fige au contact de l’eau accompagnée d’un embrasement ahurissant et de vapeurs sifflantes, d’eau et de soufre. L’alchimie est à l’oeuvre… le feu des entrailles de la terre vient de rencontrer l’air et l’eau concentrée de sel ! Surgissent alors des fonds des mers des projections de basalte qui dessinent de vastes empilements sur plusieurs kilomètres d’épaisseur. Seule une petite partie émerge des eaux, l’île Maurice, à qui d’imposants volcans marins viennent de donner naissance dans une expression de fureur et de douleur dont seule la nature est capable.

 

Nue à sa naissance, cette masse basaltique qui n’a donc pas été en contact avec d’autres terres, ne possède ni faune, ni flore. Commence alors une aventure incroyable faite de pluies et d’érosions qui forme la couche de terre, puis une suite de circonstances et de hasards qui ramènent au gré des flots et des vents marins des graines, des insectes, des spores de fougères, des oeufs de lézards sur des bois flottants, des oiseaux qui portent des semences accrochées à leurs plumes ou dans leurs excréments. Ces espèces ayant voyagé d’incroyables distances et se trouvant en terre inconnue vont se développer et se doter de propriétés nouvelles extraordinaires pour certains. Une véritable guerre de survie s’engage et seules les espèces possédant assez de force et de vigueur survivront. Un pigeon se distinguera malgré lui et en paiera le prix. Il se sentit si bien dans cette nature exubérante et prospère qu’il prit des proportions énormes et ses ailes se rétrécirent pour ne plus voler. C’était le fameux dodo. On estime à 30 000 ans le temps nécessaire pour qu’une nouvelle variété s’établisse définitivement. Bien que l’île soit balayée par les cyclones et les intempéries, on peut dire que pour cette terre sortie des flots, c’est la période faste.

 

Les hommes débarquent dans l’île au 17e siècle et y découvrent une biodiversité riche et florissante faite de tortues géantes, de chauve-souris, de grosses cateaux vertes, de faucon tacheté, de pigeon rose, de geckos multicolores, mais aussi d’ébéniers, de palmiers géants, d’hibiscus, de fougères arborescentes, de café marron et de bien d’autres espèces qu’il voient pour la première fois et qu’il ne tardent pas à convoiter. Ainsi, ce que le feu, l’air, le vent, la mer et la terre avaient créé dans une épopée incroyable qui dura des millions d’années, l’homme, lui-même issu d’une sélection minutieuse de la nature, va détruire sans égards en l’espace de quelques petites années.

 

L’île Maurice se retrouve aujourd’hui à la troisième place de la liste des pays dont la biodiversité est la plus menacée au monde. Ses forêts riches et luxuriantes qui couvraient toute l’île au débarquement des colons, se sont rétrécies comme une peau de chagrin et ne couvrent depuis longtemps déjà qu’un pourcent seulement de la superficie de l’île. Le reste est recouvert de bâtiments, de routes mais aussi de cannes à sucre introduites par les hollandais et source de prospérité économique depuis des décennies. Le développement économique et social démarre avant même l’Indépendance obtenue en 1968 des Anglais. La manne touristique n’est pas négligée et une grande partie du littoral est recouverte d’hôtel et de riches villas ayant chassé à jamais les tortues de mer qui venaient y pondre en toute quiétude. La pollution générée par les usines de textile, sources de revenus considérables dans les années 70, la pêche excessive et irréfléchie, les effluents domestiques et agricoles rejetés sans traitements ont contribué à dégrader des lagons qui renferment encore dans certains endroits des coraux immenses et uniques au monde. Car il faut dire que ce lagon entourant cette terre magique sortie des flots pour ne pas être en reste, s’est aussi paré de joyaux très rares où se côtoient murènes, langoustes, anémones, dauphins, coraux, algues, planctons et autres méduses. Cette riche biodiversité marine a également été mise à l’épreuve de l’avidité des hommes.

 

L’île Maurice peut certes aujourd’hui s’enorgueillir d’une formidable réussite économique et sociale, mais qu’en est-il de son environnement ? S’il est effectivement trop tard pour certaines espèces à jamais disparues, il est urgent de conserver et de préserver ce qui reste. Conscients du danger, certaines organisations gouvernementales et non gouvernementales s’activent depuis des années à restaurer le peu de forêt endémique qui subsiste et à y réintroduire et protéger des espèces menacées pour qu’elles ne finissent pas comme le tristement célèbre dodo. Ces initiatives se sont cristallisées depuis quelque temps sous l’égide du concept Maurice île Durable.

 

Cette épopée d’une île née de volcans surgis des eaux et abritant une nature exubérante décimée par les hommes au nom d’une soif de conquête et du développement aurait pu être différente. S’il est difficile d’imaginer qu’une sagesse quelconque aurait pu stopper le pillage de nos îles par les marins écumant les mers à la recherche de trésors et de conquêtes pour épater leurs souverains et épancher leur soif de possession, ceux qui ont présidé à la destinée de l’île Maurice après son Indépendance comme ceux qui ont dirigé le reste du monde auraient épargné cette planète de ses épreuves s’ils avaient pris le temps de réfléchir aux propositions d’une économie basée sur les principes du respect de la nature et de l’univers. Pourtant, des civilisations lointaines l’avaient compris et appliqué, mais elles furent aussi décimées par l’ignorance et l’intolérance.

 

Les modèles économiques et les théories prévalent aux siècles précédents ont mené le monde dans un chaos quasi irrémédiable. L’économiste Friedrich Schumacher a été parmi les premiers à arguer que l’économie de production se fait au détriment de l’environnement et des ressources non renouvelables. Il avait été plus loin en prévoyant il y a des décennies que la production et la consommation excessive – c’est-à-dire le matérialisme, la fondation de l’économie moderne – ne sont pas durables. Il préconisa une économie basée sur le bouddhisme et le respect de la nature. Bien entendu ses critiques et ses propositions furent l’objet de railleries. De même, le philosophe et prix Nobel de la paix, Albert Schweitzer, eut subitement un éclair de lucidité en dérangeant un troupeau de rhinocéros lors d’un de ses voyages en Afrique noire. Pourtant, son éthique du respect de la vie et conjointement de la responsabilité envers tout ce qui vit a le mérite de raccorder l’homme à l’univers et de considérer sa place dans le cosmos.

 

De nombreux défis assiègent notre petite île. L’heure est arrivée pour l’installation de déchetterie dans l’île qui servirait à mieux canaliser des déchets réutilisables et recyclables. Quel gâchis que de voir les matières premières partir en enfouissement comme si la planète pouvait encore se le permettre, alors qu’un retour des ressources à la terre est maintenant plus que jamais préconisé. La démocratisation de la production énergétique se fait timidement, mais sûrement. On sent une vraie vague de la part de la société civile. Espérons que dans un sursaut d’humilité, le bon choix sera fait et que les ressources de cette planète seront enfin respectées à leur juste valeur. Car une autre épreuve menace aujourd’hui l’île : celle du rehaussement du niveau de la mer à cause du changement climatique, résultat du même parcours des hommes et de la même course au développement économique et social irrespectueux de ce que les forces de la nature et l’alchimie ont créé partout sur cette planète. L’île Maurice ne produit que très peu de gaz à effet de serre et pourtant, elle se trouve menacée par le réchauffement climatique. Il y a urgence pour tous les petits États insulaires de cette planète. Et si la tendance se confirme et qu’aucune puissance au monde ne puisse arrêter le cataclysme qui nous attend avec le réchauffement de la planète, il est une chose qui est sûre : la nature prendra le temps qu’il faut, 5 à 10 millions d’années ou plus, pour se refaire comme avant ou en s’adaptant aux conditions prévalent, car la nature a toujours raison. Elle le peut… le temps ne compte pas pour elle ! C’est là le vrai concept de durabilité… de l’île durable. Pour nous les êtres humains, c’est une autre histoire.

 

Extrait de Business Year Book, édition spéciale de Business Magazine (Mars 2014)

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