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La vaste hypocrisie
Vendredi soir, des dirigeants de l’opposition jubilaient en constatant la bourde de trois ministres, qui ont déclaré, preuves et signatures à l’appui, avoir dépensé plus que les Rs 150 000 autorisées par candidat d’une alliance. Une bourde monumentale qui pourrait leur coûter leur siège si la Commission électorale décide de saisir la justice ou le Directeur des poursuites publiques...
Le MSM y voit une opportunité pour regagner du terrain, mais d’autres, dont l’auteur de ces lignes, considèrent cela comme une vaste hypocrisie. Tout le monde ment dans cette affaire. Chaque candidat dépense en réalité au moins dix fois plus que le plafond autorisé. Qui peut croire, par exemple, qu’Ashok Subron n’a pas dépassé les Rs 80 000 ou que Damry dans la circonscription numéro 8 n’a dépensé que Rs 45 000 ?
Le système est vicié à la base. Agents, autorités et candidats eux-mêmes jurent de faux affidavits sans vergogne ! A ce jeu opaque et malsain, tout le monde est coupable.
Le financement politique est un poison qui ronge notre démocratie. À Maurice, il pervertit les institutions, étouffe les voix et déforme la volonté populaire. Il infiltre les campagnes électorales, fait exploser les budgets et efface toute justice au profit d’intérêts cachés. Trop longtemps, nous avons toléré cette opacité.
Les chiffres récents publiés par la Commission électorale en sont la preuve éclatante. Richard Duval, ministre du Tourisme, a déclaré près de Rs 250 000 de dépenses, alors que le plafond est fixé à Rs 150 000. Il n’est pas seul. Six autres candidats ont également dépassé les seuils autorisés.
Pire encore, aucun parti n’est tenu de déclarer l’origine de ses fonds. Les dons anonymes sont autorisés. Aucun contrôle, aucune transparence. Ce vide juridique profite aux trafiquants de drogue, aux entreprises cherchant à acheter de l’influence et aux puissances étrangères. Le lien entre argent sale et politique n’est plus un secret.
Dans les quartiers populaires, les effets sont dévastateurs. La drogue circule librement, les trafiquants prospèrent et les jeunes sombrent. Derrière les saisies spectaculaires, la réalité est cruelle : notre système politique alimente lui-même ce fléau. L’argent de la drogue finance les campagnes électorales dans l’ombre. Cette vérité, bien que connue de tous, demeure un tabou.
Un projet de réforme avait pourtant été envisagé. Le Political Financing Bill de 2019 prévoyait des mesures strictes : plafonds de dépenses, registres financiers, trésoriers responsables. Mais la dissolution du Parlement a enterré ce texte. Depuis, rien n’a changé. Les élections se déroulent toujours dans le noir, sans règles claires. Avec des factures factices.
Ce statu quo est délibéré. Les grands partis n’ont aucun intérêt à encadrer le financement. Ils bénéficient des largesses de donateurs aux motivations douteuses. Les petits partis, privés de ressources, sont étouffés. Les élections ne sont plus qu’une compétition de portefeuilles, où l’argent remplace le choix des électeurs.
Ailleurs, des solutions existent. En France, les partis sont financés par des subventions publiques basées sur leurs résultats électoraux. En Afrique, bien que rarement appliquées, des lois encadrant le financement politique émergent. Mais à Maurice, l’opacité reste la norme.
Le gouvernement promet aujourd’hui des consultations sur une réforme électorale. Devons-nous y croire ? Des affaires comme celles des coffres-forts ou des millions bloqués de Sherry Singh illustrent ce double discours.
Les institutions censées surveiller la transparence, telles que la FIU, l’ICAC et la FCC, sont devenues des instruments de pouvoir. Quand l’État, le privé et les régulateurs se confondent, ils forment une véritable «mafia».
Il est urgent de moraliser la vie publique. Le financement politique doit être encadré, transparent et contrôlé. Les partis doivent rendre des comptes. Les dons anonymes doivent disparaître. Sans cela, notre démocratie restera otage de l’argent sale.
Le temps des promesses creuses est terminé. La gangrène politique ne se combat pas avec des mots, mais avec des réformes concrètes. Le financement politique transparent est une nécessité pour sauver notre République de l’emprise corruptrice de l’argent.
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