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Rehaussement de l’âge de la retraite

Maurice à l’épreuve : Entre impératif budgétaire et choc social

9 juin 2025, 13:00

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Maurice à l’épreuve : Entre impératif budgétaire et choc social

■ Pour de nombreux travailleurs ayant exercé toute leur vie dans des métiers physiquement éprouvants, cette mesure est perçue comme irréaliste, voire inhumaine.

La décision du gouvernement, annoncée dans le Budget 2025-26, de repousser progressivement l’âge d’éligibilité à la Basic Retirement Pension (BRP) de 60 à 65 ans d’ici 2030 a déclenché une onde de choc à travers le pays. Présentée comme une mesure de rationalisation budgétaire face au vieillissement démographique, cette réforme suscite actuellement une certaine opposition, car elle est perçue comme une rupture du pacte intergénérationnel.

Pour les autorités, ce rehaussement de l’âge d’éligibilité pour bénéficier de la pension universelle est dicté par la nécessité de garantir la viabilité du système à long terme. En effet, Maurice, comme beaucoup d’autres pays, fait face à une transition démographique marquée par l’augmentation rapide de la population âgée. Les projections montrent que la part des personnes âgées de 60 ans et plus passera de 13 % en 2013 à près de 30 % en 2050. Ce phénomène entraîne une explosion des dépenses publiques liées aux pensions. En 2024, plus de 275 000 Mauriciens bénéficient de la BRP, contre 189 000 en 2015. Le coût annuel de ce programme dépasse désormais Rs 50 milliards, soit environ 17 % du budget national. Face à un ratio cotisants-retraités en baisse (2,5 pour 1), le système devient de plus en plus difficile à financer sans compromettre d’autres priorités sociales ou économiques.

Malgré ces justifications macroéconomiques, la réforme est massivement rejetée par les syndicats et une large frange de la population. La Confédération des travailleurs des secteurs public et privé a dénoncé une décision «brutale et injuste», critiquant l’absence de consultation et de mesures d’accompagnement pour les travailleurs proches de la retraite. La contestation se nourrit d’un sentiment d’injustice sociale. Pour de nombreux travailleurs ayant exercé toute leur vie dans des métiers physiquement éprouvants, l’idée de travailler jusqu’à 65 ans est perçue comme irréaliste, voire inhumaine. Les citoyens les plus modestes, qui dépendent quasi exclusivement de la pension universelle pour subsister, se sentent particulièrement lésés. À l’inverse, ceux ayant les moyens de se constituer une retraite complémentaire ou de quitter le marché du travail de manière anticipée seront peu affectés.

Maurice n’est pas un cas isolé. De nombreuses économies – développées ou émergentes – ont déjà engagé des réformes similaires. En France, l’âge légal de la retraite a été porté à 64 ans en 2023 malgré des mois de manifestations. En Allemagne et au Royaume-Uni, il atteindra 67 ans d’ici 2031 et 2028 respectivement. Le Japon, les États-Unis, le Brésil ou encore la Chine suivent également cette tendance de relèvement progressif. Les motivations sont similaires : allongement de l’espérance de vie, baisse du nombre de cotisants et explosion des dépenses sociales. À Maurice, l’espérance de vie était de 70 ans pour les hommes et 77 ans pour les femmes en 2022, rendant le maintien de la pension à 60 ans de plus en plus difficile à soutenir sans réformes. Mais ces ajustements se heurtent à des résistances partout. Les mouvements sociaux invoquent la pénibilité du travail, les inégalités face à l’espérance de vie en bonne santé ou encore, les privilèges accordés à certaines catégories professionnelles. Le rejet populaire est souvent d’autant plus fort que les réformes sont perçues comme uniformes et insensibles aux réalités de terrain. Face à la levée de boucliers, le gouvernement pourrait adopter une approche plus nuancée et inclusive. Parmi les options envisagées : des dispositifs de retraite anticipée pour les métiers pénibles, une transition graduelle selon les cohortes d’âge ou encore, des programmes de formation et de reconversion pour les travailleurs âgés.

Au-delà, une réforme plus globale du système de retraite mauricien pourrait permettre une meilleure articulation entre les régimes contributifs et non contributifs afin de renforcer l’équité tout en assurant la soutenabilité financière. La prise en compte de la durée de cotisation, de la pénibilité des emplois et des trajectoires individuelles constituerait une avancée majeure. Le relèvement de l’âge de la retraite, bien que motivé par des impératifs économiques réels, représente un test politique majeur. Si elle est perçue comme brutale ou injuste, la réforme pourrait saper la confiance dans les institutions et alimenter un ressentiment social durable. Dans un contexte électoral incertain, elle pourrait devenir un enjeu majeur de campagne, les partis d’opposition ayant déjà promis de l’abroger s’ils accèdent au pouvoir.

Reste à savoir si le gouvernement parviendra à transformer cette réforme impopulaire en un acte de responsabilité accepté par la population – ou s’il s’exposera à un rejet profond, comme tant d’autres pays l’ont expérimenté avant lui.

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