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Cinq ans après le naufrage

«MV Wakashio» les traces d’huile ont disparu, mais les cicatrices restent vives

25 juillet 2025, 17:00

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«MV Wakashio» les traces d’huile ont disparu, mais les cicatrices restent vives

C’est un souvenir noir que les vagues n’ont pas réussi à effacer. Le naufrage du MV Wakashio, un vraquier japonais échoué au large de Pointe-d’Esny le 25 juillet 2020, reste à ce jour l’un des plus grands désastres écologiques que Maurice ait connu. Ce n’est pas tant l’échouement du navire qui a bouleversé le pays, mais bien la marée noire qui s’est ensuivie : des tonnes de fioul lourd ont été déversées dans l’océan, souillant des kilomètres de côtes, de la région sud-est jusqu’à celle de l’Est.

Cinq ans plus tard, la vie semble avoir repris son cours. Mais derrière les paysages apaisants et les eaux qui paraissent limpides, les cicatrices sont encore profondes. Environnement abîmé, pêche appauvrie, familles impactées : la réalité sur le terrain reste complexe et douloureuse.

En ce matin nuageux, le soleil tente de percer timidement à travers le ciel gris. Alain Diolle, pêcheur de Vieux-Grand-Port, termine sa tournée matinale. Il attend son ami, venu en 4x4, pour l’aider à transporter le moteur de son embarcation. Il ne cache pas sa nostalgie pour les jours d’avant. «Il y a encore des traces de fioul. Elles sont enfouies au fond de la mer, coincées dans les racines des mangroves. Même si l’odeur a disparu, le poison est toujours là», affirme-t-il.

lexp - 2025-07-25T152009.031.jpg Alain Diolle explique que le fioul est toujours visible dans les mangroves.

lexp - 2025-07-25T152320.581.jpg L’huile ne sort plus des écailles des poissons aujourd’hui, selon Rahim.

lexp - 2025-07-25T152157.954.jpg Désiré Joseph est heureux de constater un retour des coquillages à Mahébourg.

Selon lui, la vie marine a été profondément perturbée. «Les poissons sont moins nombreux. Lorsqu’ils pondent, leurs œufs migrent vers les mangroves. Mais le fioul empêche leur développement. C’est un massacre invisible.»

lexp - 2025-07-25T151637.361.jpg Des tonnes et des tonnes de fioul ont été ramassées avec les moyens du bord durant plusieurs semaines.

Rajcoomar Beeharry, pêcheur depuis plus de 20 ans, abonde dans le même sens. Il se spécialisait dans la pêche aux crabes, crevettes et huîtres. Mais ce gagne-pain autrefois simple est devenu un défi quotidien. «Avant, vous marchiez au bord de l’eau et vous repartiez avec un panier plein. Aujourd’hui, vous repartez souvent les mains vides. Cette région était réputée pour ses mangouaks. C’est fini.»

lexp - 2025-07-25T151615.934.jpg ■ L’entraide a été exceptionnelle pour contrer cette pollution gigantesque.

Les poissons ne sont pas totalement absents, mais leur répartition a changé. «Ils se sont éloignés. Les crustacés et les petits rougets vivent désormais loin, dans les lagons plus profonds, là où le fioul ne les atteint pas. Il faut aller en haute mer et tous les pêcheurs n’ont pas les moyens ni les équipements de s’y aventurer.»
lexp - 2025-07-25T151713.358.jpg Rajcoomar Beeharry soutient qu’il faut aller en haute mer pour obtenir de quoi vivre aujourd’hui.

D’autres facteurs aggravent la situation. Rajcoomar Beeharry évoque les inondations plus fréquentes, causées par des pluies torrentielles. «L’eau boueuse dévale des montagnes et finit sa course dans la mer, obstruant l’ouverture du lagon. Il arrive que les pirogues aient du mal à être mises à l’eau. Le sable a été remplacé par une couche épaisse de boue.» Pour lui, ces changements environnementaux traduisent un déséquilibre plus large, qui menace durablement l’écosystème marin.

L’espoir renaît… à petits pas

À Mahébourg, certains signes laissent penser à un lent retour de la vie. Sur le front de mer, Rahim, un habitant de la région, profite d’un moment de calme. «Ce qui fait plaisir, c’est qu’aujourd’hui, quand on écaille un poisson, il ne sent plus le pétrole. C’est déjà une victoire.»

À ses côtés, Désiré Joseph observe avec satisfaction les rochers autour de la rade.* «Les coquillages commencent à revenir. Pendant des années, il n’y avait rien. Aujourd’hui, on voit à nouveau des bigorneaux. C’est comme un petit miracle.»* Ces signes de renaissance ne suffisent cependant pas à apaiser les angoisses.

Les habitants vivent toujours avec la peur qu’un tel accident se reproduise. «Il y a un traumatisme. On n’oubliera jamais ces jours où la mer était noire, où l’on ne pouvait plus pêcher, où tout s’est arrêté», confie Alain Diolle.

Les habitants lancent un appel aux autorités pour qu’une surveillance rigoureuse soit maintenue sur les mouvements maritimes, notamment dans cette zone fragile. Ils demandent plus de prévention, plus de contrôles et plus d’écoute. «Ce genre de catastrophe ne doit plus jamais se reproduire. Une autre marée noire signerait la fin de notre activité, de notre mode de vie, de notre culture. C’est une région entière qui est en jeu», lancent les pêcheurs.

Plus qu’un simple naufrage, le Wakashio a été un choc collectif, un traumatisme écologique et humain. Cinq ans après, la mer tente de panser ses plaies. Les pêcheurs, eux, avancent à contre-courant, oscillant entre résilience et inquiétude. Pour eux, la reconstruction ne se limite pas à la réapparition des poissons : elle passe aussi par la mémoire, la justice environnementale et un engagement ferme pour que plus jamais la mer ne devienne un cimetière silencieux.

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