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Nitish Monebhurrun: Contre-autopsie de l’effet Kaya
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Nitish Monebhurrun: Contre-autopsie de l’effet Kaya

En février 1999, Nitish Monebhurrun était élève en Form III au collège St-Joseph. La mort de Kaya en cellule policière et les événements qui ont suivi ont percé sa bulle de garçon studieux, aimant jouer au foot et dévorer les livres. Faisant remonter à la surface les relents de communalisme, les réflexes de repliement sur le groupe auquel la naissance nous a assigné. Réveillant des peurs primitives qui poussent à incendier des maisons, s’armer de bâtons ou à en venir aux poings. Vingt-six ans plus tard, qu’est-ce qui a changé ? Question fondamentale et nécessaire que pose Nitish Monebhurrun dans «Kaya est mort !» paru aux Éditions Vizavi.
Ne pas s’éloigner du Sime lalimier. Soulever le tapis pour regarder non seulement la poussière accumulée en un quart de siècle, mais surtout tous les non-dits qu’on y a balayés. Tout ce que la mort du chanteur Kaya à Alkatraz a bouleversé dans une vie de collégien, déboussolé par une semaine de congé inattendue. Tout ce qu’elle a chamboulé dans les villes et villages. Tout ce qu’elle a devire dans la société mauricienne.
Par le prisme du souvenir, Nitish Monebhurrun a choisi de ne pas faire partie des Ras kouyon. Son témoignage, Kaya est mort ! est paru fin 2024 aux Éditions Vizavi. Refusant de «pran bon pou pa bon/pran pa bon pou bon», l’auteur a souhaité «contribuer modestement à la postérité» du patrimoine musical que représentent les chansons de Kaya. Des textes qu’au moment de la disparition du chanteur, l’auteur ne connaît pas et qu’il découvre grâce à un copain de collège. En épilogue, il explique que son livre «retrace les événements de 1999 tels (qu’il) les avait perçus comme l’adolescent».
Mais quand il (re)prend la plume – après plusieurs ébauches –, 25 ans sont passés. Le collégien est devenu professeur de droit à l’université au Brésil. De «bookish» comme le traitait son père, il a connu les expériences de la vie, a cultivé son esprit critique. A expulsé son étouffement dans le système scolaire mauricien dans un précédent livre, intitulé Face au tableau noir (2022).
Dans Kaya est mort !, ce n’est pas que le collégien de 1999 qui fait défiler les images, mais aussi l’adulte qui en explore les recoins sombres. Examinant sans complaisance préjugés et réflexes de repli communautaires avec l’acuité que donne la distance géographique et temporelle. «J’ai mis du temps à trouver le recul, le ton juste et l’angle adéquat pour raconter cette tragédie de Kaya», confie l’auteur en épilogue.
C'est de Curepipe où il habite que Nitish Monebhurrun suit les événements de 1999.
«Je me demandais récemment comment réagirait la société mauricienne si la mort de Kaya, dans les mêmes circonstances que celles de 1999, avait eu lieu en 2023 ou 2024. Y aurait-il cette même capture communautaire des événements ? (…) À voir de plus près, les événements furent surtout un affrontement entre Créoles et Hindous. C’est l’impression qui en ressortait en tout cas lorsqu’on observait autour de soi et qu’on écoutait les commentaires dans la rue, à l’école, ou dans des cercles plus fermés (…) La communauté était - est ! - le lieu du discours : c’est à partir, et en fonction d’elle que l’on se prononce. La communauté pense, donc, je suis…»
Une fois ces prémices clairement énoncées, Nitish Monebhurrun libère sa parole. Pour nous renvoyer notre côté obscur. Partager cette «impression» que «tous les endroits habités par les Créoles sont considérés comme potentiellement dangereux. Je crois que c’est probablement ce que pense tout le monde».
L’auteur consacre tout un chapitre à*«l’homme au tika»*. Juste un quidam venu acheter quelques commissions à la boutique du quartier. Juste un quidam ? Pire que ça. «En prenant la monnaie, il en profite pour prendre la parole (…) Pour lui, il y a toujours un Créole derrière un désordre quelconque dans ce pays.» Des incitateurs à la haine raciale, ce n’est pas qu’en 1999 qu’ils ont sévi. C’est au quotidien qu’il faut s’en méfier, car c’est au coin d’une rue, dans une boutique de quartier qu’on les croise, met en garde l’auteur.
Aujourd’hui, Nitish Monebhurrun est un Mauricien vivant sous d’autres cieux. Avec ironie (y compris envers soi), il égratigne une attitude hélas trop commune des Mauriciens restés au pays envers les Mauriciens d’ailleurs. Le chapitre intitulé Le drapeau indien raconte comment, en 1999, «c’est apparemment un Mauricien qui habite en France qui a eu cette brillante idée de parader avec le drapeau de l’Inde». Un drapeau attaché à l’arrière d’un tout-terrain, «comme dans une démonstration de force pour montrer qui est le mari» à Montagne-Blanche et dans d’autres villages de l’Est. Analyse de l’auteur: *«Il suffit qu’un expatrié dise quelque chose pour que son entourage suive aveuglément. Les gens pensent réellement que quelqu’un qui habite en France ou en Angleterre a la science infuse, que c’est par définition un érudit. Ils vont suivre sans le moindre questionnement n’importe quel inculte. Et ces expatriés sont toujours admiratifs devant leur propre intelligence.»*Kaya est mort ! plus qu’un témoignage est une claque… bienvenue.
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