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Décoration Républicaine
Philippe Thomas : le Mo’zar de la cause musicale
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Décoration Républicaine
Philippe Thomas : le Mo’zar de la cause musicale

■ Ces deux décorés de la République étaient sur la scène du Caudan Arts Centre le 28 février. Eric Triton, CSK, a rejoint Philippe Thomas, GOSK, pour fêter les 60 ans du trompettiste.
Le 12 mars, Philippe Thomas a été élevé au rang de «Grand Officer of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean» (GOSK). C’est la deuxième plus prestigieuse décoration de la République, après le grade suprême de «Grand Commander of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean» (GCSK), qui a été remis au Premier ministre indien Narendra Modi. Philippe Thomas a été décoré pour sa contribution dans le domaine musical. Son frère et ses collaborateurs déchiffrent la partition jouée par ce trompettiste de jazz, auteur-compositeur-interprète et enseignant reconnu ici et ailleurs.
Eric Triton, artiste
«Ce n’est qu’une décoration. Sa pa’nn avans nanye»
Philippe Thomas, «c’est le meilleur», déclare spontanément Eric Triton. Ils ont partagé la scène le 28 février dernier. Sa définition de meilleur, précise-t-il, ne concerne pas le niveau de l’artiste, «mais c’est celui qui est le plus actif. Seki pe fer kiksoz pou lezot. Li pa pe zwe zis pou li». Cela, dans un contexte où l’on ne «considère pas les musiciens avec tout le respect qu’ils méritent».
En décernant la deuxième plus haute décoration de la République à un musicien, quel message officiel faut-il y voir ? Eric Triton lance : «Zot finn fini ar li la zot. Demain, s’il y a un projet, je ne crois pas que les autorités vont considérer tout ce que Philippe Thomas a fait.» Un sentiment inspiré de son vécu. Eric Triton avait été élevé au rang de Commander of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean (CSK) en 2022. Certes, cela lui a fait plaisir. «Lafami kontan.» Sauf que la semaine dernière, «trois jours avant l’Indépendance, on m’a demandé de me préparer pour chanter Linite. Par la suite, on a décommandé en me disant qu’il n’y avait pas de temps pour des répétitions, alors que cela fait 45 ans que je chante Linite».
De cette médaille reçue en 2022, l’artiste assène : «Ti kapav donn sa Philippe depi avan, olie donn mwa.» «Ce n’est qu’une décoration. Sa pa’nn avans nanye.» Par exemple, quand on est un décoré, «ou sipoze gagn linvitasion pou Lindepandans». L’artiste affirme n’avoir rien reçu depuis que l’insigne lui a été remis.
Décoré sous le précédent régime, pour l’heure, il trouve que l’on a «seulement changé de politiciens. Mo pa trouv nanye pe fer pou mizisien». Quelle est la priorité ? Un cadre pour régir les conditions de travail dans ce secteur, affirme Eric Triton. «Pour les autres métiers, la paie arrive le 29 ou le 30 du mois. Des musiciens attendent deux, trois mois avant d’être payés. Nou pa kapav fer nanye. Nou bizin atann, se tou.»
Roger Thomas,
bassiste et frère de l’artiste
«Beaucoup de musiciens galèrent»
«Enfin un peu de reconnaissance.» Réaction de Roger, l’un des frères aînés de Philippe Thomas. Joint au téléphone en France, il souligne que son frère a «énormément partagé tout ce qu’il a appris», que ce soit avec «son premier professeur Claudio Cassimally», avec Ernest Wiehe, puis au Berklee College of Music aux États-Unis et en Europe. Mais si Philippe Thomas a été inspiré par des grands trompettistes de jazz, «Miles Davis ou Tom Harell, il a sa personnalité. Il n’est pas une copie».
La «mentalité» du partage, il l’a apprise au sein du groupe de leur père, The Blue Vaillants. «Mario Ramsamy aussi était membre de ce groupe», rappelle Roger Thomas. Philippe est le dixième enfant de la fratrie. En riant, Roger Thomas, qui est bassiste, lance : «Diziem zanfan fek gagn 60-an.» Un anniversaire fêté le mois dernier, lors d’un concert au Caudan Arts Centre.
Roger Thomas espère que cette décoration contribuera à améliorer le sort des musiciens. «Beaucoup d’entre eux sont obligés d’avoir un autre métier pour vivre.» Il se souvient que dans les années 1980, les hôtels avaient un orchestre attitré pour l’animation. «Aujourd’hui, ce sont surtout des piano-voix ou guitare-voix. Beaucoup de musiciens galèrent. Je connais personnellement un grand talent qui travaille comme soudeur.»
Les Thomas Brothers, Roger et Lindsay seront de retour à Maurice le 26 avril prochain pour le Festival Urban Zouk. Ils se produiront avec Christiane Obydol de Zouk Machine au stade Germain-Comarmond, à Bambous.
Valérie Lemaire,
directrice de Mo’zar Espace Artistic
«ll est le concepteur du sega jazz»
Celui qui a créé le concept de sega jazz. Philippe Thomas est la figure tutélaire d’un style né «de la nostalgie de son pays, durant sa période américaine, quand il était à New York. Il a alors introduit des phrasés de jazz dans le sega». Ce qui est une «avancée énorme», souligne Valérie Lemaire, directrice de Mo’zar Espace Artistic. Philippe Thomas en est le directeur artistique, professeur de trompette, de solfège et responsable du big band.
Philippe Thomas est auteur, compositeur, interprète, arrangeur. «Il ne fait pas que du jazz, il joue avec beaucoup d’autres artistes. Il a un son particulier qui fait que l’on n’a pas besoin de regarder sur la pochette pour savoir que c’est lui à la trompette.»
Selon Valérie Lemaire, Philippe Thomas est «quelqu’un de généreux avec ses connaissances. Il est dans le partage non seulement chez Mo’zar mais aussi avec d’autres musiciens de calibre». Actuellement, il prépare des élèves à passer une audition à la fin du mois. Elle ouvrira les portes à un stage à la Berklee School of Music. «Les réponses tomberont mi-avril.» Le professeur est aussi un «exemple pour les élèves. Il a une reconnaissance mondiale. Dans le milieu du jazz, on sait qui est Philippe Thomas. Mais il reste lui-même, drôle et humble».
Évoquant la genèse de Are you talking to me, l’album studio de Philippe Thomas sorti en 2023, la directrice de Mo’zar raconte un musicien qui «entend des choses que nous n’entendons pas». Comme la fois où ils ont pris un escalator à Boston et que le bruit de la machine lui a fait dire «ena sega ladan. Il est inspiré par tout ce qu’il y a autour de lui. Derrière ses grands sourires, il y a pas mal de nostalgie». Exemple : le morceau Ti Rosalie, dédié au village de son enfance.
Si cette distinction est «méritée» et «fait l’unanimité», Valérie Lemaire souhaite qu’elle ne «reste pas une simple décoration. Qu’elle l’aide à mener à bien d’autres projets».
Nicolas Planel, son manager
«C’est important qu’il ait été reconnu de son vivant»
Manager de Philippe Thomas depuis 2017, Nicolas Planel affirme qu’il ne «faut pas attendre qu’un artiste soit mort pour faire quelque chose pour lui. Ce n’est que là qu’on se rend compte que c’était un grand bonhomme. Je suis content qu’il reçoive cette décoration de son vivant».
Nicolas Planel estime que Philippe Thomas est «vraiment un patriote. Il est rentré au pays alors qu’il aurait pu poursuivre une carrière à l’étranger. Beaucoup d’artistes ayant atteint un certain niveau tentent leur chance ailleurs. Mais si tout le monde part, comment former la relève ?» Il souligne également que le trompettiste est aussi un cas «très rare» d’artiste «qui n’a jamais eu d’histoires. C’est quelqu’un de très gentil».
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