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Premier Budget de l’Alliance du changement : grand oral, grande dette, gros casse-tête de la réalité des chiffres
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Premier Budget de l’Alliance du changement : grand oral, grande dette, gros casse-tête de la réalité des chiffres

Visiblement, le ministre des Finances marche sur des œufs à l’approche de son Grand oral. Entre une dette publique qui frôle les 90 % du Produit intérieur brut (PIB) et un déficit budgétaire qui devrait atteindre 9,5 % du PIB à la fin de l’année fiscale en juin, Navin Ramgoolam, en tant que Premier ministre et ministre des Finances, voit sa marge de manœuvre budgétaire se réduire comme peau de chagrin.
C’est un exercice périlleux qui attend le chef du gouvernement : répondre aux engagements sociaux pris par l’Alliance du changement sans basculer dans une logique d’endettement insoutenable. En même temps, il aura valeur de signal : celui du cap choisi par un gouvernement élu dans une atmosphère de rupture, sur fond d’exaspération sociale, de désenchantement économique et d’urgence de redressement.
D’un côté, l’attente est grande dans la population et l’enthousiasme palpable dans les rangs de la majorité. Le premier Budget est censé concrétiser certaines mesures phares du programme gouvernemental : Internet gratuit, abolition de la redevance TV, baisse des prix de l’essence et du diesel, création d’un fonds de Rs 10 milliards pour stabiliser les prix de consommation courante, ou encore l’abolition de l’impôt sur la pension de vieillesse.
Mais à l’heure où l’État fait face à une crise de liquidités sans précédent, il serait illusoire de s’attendre à un Budget labous dou, comme l’a proposé l’ancien régime depuis une décennie, dopé par une illusion monétaire et une dérive populiste des finances publiques. La roupie s’est dépréciée de 46 % face au dollar entre décembre 2014 et novembre 2024, tandis que les prix de nombreux produits de base ont explosé, avec une inflation cumulée de 114,4 % sur la période 2019-2024, selon le rapport The State of the Economy.
Comme à chaque veille budgétaire, les capitaines de l’industrie reviennent à la charge avec leur lot de revendications. Business Mauritius, perçu plus comme un groupe de lobbying, défend bec et ongles les intérêts du privé. Toutefois, cette posture reste bien souvent déconnectée des réalités sociales du pays. Car, derrière les appels à des réductions fiscales ou à plus de prévisibilité réglementaire, se cache souvent une logique : moins d’impôts pour engranger plus de profits, concentrés dans certains cas entre les mains d’une minorité, pendant que les travailleurs ne récoltent que les miettes. Et pourtant, on continue de parler de croissance inclusive !
Le Premier ministre semble vouloir changer de cap. À lire entre les lignes de ses déclarations récentes, notamment sur les exonérations fiscales accordées aux promoteurs de Smart Cities depuis 2015, il y a fort à parier qu’il mettra un terme à ces régimes préférentiels. Ces derniers ont coûté à l’État plus de Rs 6 milliards au cours des dix dernières années. Le message du chef du gouvernement est clair : en période de grande fragilité économique, tous les acteurs – publics comme privés – devront faire preuve de solidarité. Le pays ne pourra se redresser sans une mobilisation collective.
Le contexte macroéconomique reste morose. La Banque de Maurice (BoM) prévoit une croissance modérée, oscillant entre 3 % et 3,5 %, tandis que l’inflation globale pourrait atteindre 3,5 % d’ici fin 2025. Mais la véritable source d’inquiétude demeure l’envolée de la dette publique, passée de Rs 608 milliards en décembre 2024 à Rs 628 milliards en mars 2025, soit une hausse de Rs 20 milliards en un trimestre.
Dans ce contexte, les institutions internationales comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ainsi que les agences de notation observent Maurice avec une vigilance extrême. Elles attendent du prochain Budget une trajectoire claire de consolidation fiscale.
La présence de Rezistans ek Alternativ au sein de l’Alliance du changement pourrait contraindre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger à adopter une posture plus sociale, voire radicale, sur certains axes budgétaires. Bien que ses dirigeants réfutent l’étiquette d’«extrême gauche», le parti se réclame d’un écosocialisme assumé, avec un discours frontalement critique envers le patronat dans le passé.
Mais, au sein du gouvernement, Ashok Subron devra troquer sa casquette de syndicaliste pour celle de ministre d’un cabinet engagé dans un exercice de responsabilité budgétaire. L’équilibre sera délicat à maintenir entre justice sociale et réalisme financier.
Devises étrangères
L’Alliance du changement a été élue, en partie, sur la promesse de restaurer le pouvoir d’achat. L’équipe actuelle de la BoM, en poste depuis novembre 2024, s’est attelée à cette tâche. «Grâce à la discipline monétaire et à une hausse des taux d’intérêt, nous avons pu stabiliser la roupie face au dollar», se félicite le gouverneur Rama Sithanen.
Les entrées en devises étrangères ont connu un rebond notable : +101 millions USD au premier trimestre 2025 par rapport à la même période en 2024, et +159 millions USD pour le mois d’avril, selon les données de la BoM. Mais le gouverneur reconnaît qu’il reste un retard accumulé (backlog) difficile à résorber en quelques mois seulement.
Son adjoint, Rajeev Hasnah, coordonne une stratégie de communication active avec les opérateurs économiques afin de s’assurer que les obstacles liés à l’accès aux devises soient levés rapidement.
Cependant, une autre incertitude majeure pèse sur les projections budgétaires : la nouvelle politique tarifaire américaine et le risque d’une guerre commerciale susceptible d’impacter aussi bien la croissance mondiale que l’inflation.
La BoM a modélisé plusieurs scénarios, et conclut que le risque d’un ralentissement de la croissance nationale est supérieur à celui d’un regain d’inflation. Ce facteur externe devra nécessairement être intégré dans les arbitrages du ministre des Finances. Au Parlement hier, Navin Ramgoolam, répondant à une Private Notice Question, a estimé que ces changements tarifaires ont entraîné «heightened uncertainty, elevated volatility and severe lack of predictability».
Le travail de la BoM a, en quelque sorte, déblayé le terrain. Désormais, c’est au ministère des Finances de tracer une feuille de route cohérente, capable d’allier rigueur budgétaire et ambitions sociales. Entre autorité monétaire et autorité fiscale, la convergence des stratégies est aujourd’hui vitale.
L’heure est venue de choisir : soit reproduire les erreurs du passé en flattant les attentes populistes au détriment de la soutenabilité économique, soit poser les bases d’un nouveau pacte économique et social, certes exigeant, mais porteur d’avenir.
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