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Africa Day
Réparation de l’esclavage : Les fortes sommes payées aux anciens maîtres et au-delà
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Africa Day
Réparation de l’esclavage : Les fortes sommes payées aux anciens maîtres et au-delà

Illustration générée par IA
L’«Africa Day» est observé le 25 mai. Le thème choisi par l’Union africaine était : «Justice for Africans and People of African Descent through reparations.» Une conférence-débat a eu lieu le jeudi 29 mai sur «Reparations and Justice: Learning from the past, facing the present, envisioning tomorrow». Cette journée de réflexion était organisée par l’université de Maurice, en collaboration avec le centre Nelson Mandela pour la culture africaine, le Musée de l’esclavage intercontinental et l’Institut de Recherche pour le Développement.
«Pas un seul sou n’a été versé aux anciens esclaves.» En ouverture des débats, l’historienne Stéphanie Tamby-Lai Kong Ling, directrice du Morne Heritage Trust Fund, a partagé ses recherches sur les archives liées à l’indemnisation. Elle a aussi travaillé pour la Commission Vérité et Justice. Des pans entiers du rapport de la commission, soumis en novembre 2011, attendent, presque 14 ans plus tard, d’être mis en œuvre
«En indemnisant les maîtres au lieu des victimes, les sociétés coloniales ont approfondi les blessures de l’esclavage et ont posé les fondations d’inégalités structurelles qui perdurent», a rappelé l’historienne. Selon elle, envisager l’avenir, c’est se poser des questions «difficiles» : quelle est la responsabilité historique ? Comment réparer les torts intergénération nels causés par l’esclavage ? Quels rôles doivent jouer les institutions, les familles, les États ? Notamment en «remet tant en question les mythes justifiant l’inégalité».
Pour mieux comprendre les réalités de la compensation, l’historienne a cité les chiffres de la Slavery Compensation Commission. À l’abolition en 1835, l’Empire britannique a versé «plus de 2 millions de livres sterling – l’équivalent de plus de 1,5 milliard de livres actuelles – aux propriétaires d’esclaves mauriciens».
Au cours de ce processus bureaucratique «massif, plus de 46 000 demandes furent déposées par des particuliers et des sociétés au Royaume-Uni et dans les colonies, y compris à Maurice». L’indemnisation était calculée selon le nombre de personnes réduites en esclavage, leur âge, leur sexe et leur fonction. Dans le calcul de la valeur estimée des personnes, femmes et enfants étaient considérés comme ayant une valeur marchande inférieure, entre 31 et 69 livres par personne. «La Commission accorda 2 112 632 de livres sterling aux propriétaires mauriciens pour 66 343 personnes réduites en esclavage, réparties sur 7 386 réclamations.»
Selon Stéphanie Tamby-Lai Kong Ling, les plus grosses sommes ont souvent été accordées à des propriétaires fonciers absents vivant en Grande-Bretagne, «qui n’avaient jamais mis les pieds dans les colonies». Elle a rappelé que le financement de ces indemnités est passé par un prêt colossal de 15 millions de livres sterling négocié le 3 août 1835 entre le gouvernement britannique et les financiers Nathan Mayer Rothschild et Moses Monte fiore. «Cette dette n’a été totalement remboursée qu’en 2015, près de deux siècles plus tard.»
Analysant les demandes d’indemnisation de Maurice, l’historienne a souligné que «presque 45 % ont été déposées par des femmes. Ce chiffre remet en question l’idée reçue selon laquelle l’esclavage était un domaine exclusivement masculin, et souligne à quel point il était profondément enraciné dans le tissu économique de la société. Les femmes héritaient d’esclaves, géraient activement des domaines, déposaient des réclamations et réinvestissaient les indemnités. Cela a renforcé la continuité de l’élite.»
Ce qui débouche sur l’héritage de cette indemnisation. Conclusions de l’historienne : les grandes plantations sont restées entre les mains des riches familles. «La Mauritius Commercial Bank, fondée en 1838, a été créée avec des fonds issus de l’indemnisation. Elle fut financée par Adrien d’Épinay et James Blyth.» Elle note également que les fonds ont soutenu un boom économique : hausse des exportations de sucre, introduction de moulins à vapeur. Mais surtout qu’entre 1834 et 1839 «près de 25 500 travail leurs indiens ont été amenés à Maurice, souvent grâce aux mêmes fonds d’indemnisation». Pour Stéphanie Tamby-Lai Kong Ling, «reconnaître les bénéficiaires, y compris des institutions comme la Mauritius Commercial Bank, est un premier pas essentiel».
Quand la liberté, c’était l’accès à la terre
S’attaquer à un mythe : celui qui veut que, du jour au lendemain, les anciens esclavés ont quitté les domaines sucriers et ont tourné le dos au travail de la terre. L’historien Satyendra Peerthum, en poste à l’Aapravasi Ghat Trust Fund et membre du board du Musée de l’esclavage intercontinental, s’est évertué à démolir des idées reçues. «On croit que les ex-apprentis étaient des paresseux, qu’ils ne voulaient pas travailler. C’est faux. Ce qu’ils voulaient, c’était avoir accès à des terres.»
Il a expliqué qu’environ dix ans après l’abolition de 1835, en 1846, «sur 193 des 3 729 établissements sucriers, 25 ex-apprentis y travaillaient toujours. Soit ils vivaient sur le domaine sucrier ou à la périphérie». Il y a aussi la pratique de ces ex-apprentis de squatter des terres de la Couronne ou des terrains privés. «Des milliers d’ex-apprentis ont vécu comme cela. L’objectif ultime était la liberté. Comment atteindre la liberté, c’était à travers l’accès à la terre.» Pour cela : divers moyens, soit en squattant, soit en louant des terres, soit en faisant du métayage et, dans d’autres cas, en achetant des parcelles. «Le recensement de 1847 indique que 2 335 ex-apprentis possédaient des terres. Parmi eux, il y avait 800 femmes.»
Recherches généalogiques: «pratique réparatrice»
«Les réparations, ce n’est pas seulement une question d’argent.» Stephan Karghoo, directeur du centre Nelson Mandela pour la culture africaine, a, durant son exposé, parlé d’une autre «pratique réparatrice». Celle de la reconnexion avec les racines africaines. Au centre Nelson Mandela, notre travail généalogique n’est pas un acte neutre d’extraction archivistique. Il s’agit d’un engagement éthique. C’est le droit pour chaque individu de connaître son origine, de rétablir la chaîne familiale interrompue par la violence historique. Lorsque nous aidons une personne à remonter la lignée, nous participons à une œuvre de réparation morale.» Le responsable de ce centre culturel constate que beaucoup d’afro-descendants d’esclavés ne cherchent pas une réparation pécuniaire, mais une econnaissance, une place dans la communauté morale et une vérité historique».
Dès lors, la recherche généalogique dans ce cas précis est considérée comme une forme de justice réparatrice. «Nous apprenons qu’une histoire ne commence pas avec l’esclavage. Mais qu’une famille vient d’un grand continent, d’un pays avec une civilisation ancienne, avec son propre langage, sa propre culture, sa façon de vivre, ses croyances. Même si ce travail n’est pas visible, comme un monument, il a une importance fondamentale. Il redonne aux hommes une continuité, une dignité, une place dans l’histoire.»
Exemples de bénéficiaires
L’historienne Stéphanie Tamby-Lai Kong Ling a cité des noms de bénéficiaires de la compensation payée par l’Empire britannique aux anciens propriétaires d’esclaves.
François Favé, planteur, reçut 10 000 livres sterling pour plusieurs centaines de personnes. Il réin vestit dans l’expansion de ses terres et la mécanisation des moulins.
Victorine Laurent, veuve, obtint plus de 2 500 livres sterling pour 94 personnes.
Pierre Antoine Lefebvre, commerçant, reçut près de 3 000 livres sterling pour des travailleurs domestiques et portuaires.
La famille Hume, grands propriétaires absents résidant en Grande-Bretagne, reçut 5000 livres sterling par le biais de représentants légaux.
Père Clément Le Boucher, prêtre catholique, perçut 625 livres sterling pour 24 esclaves au ser vice de l’Église.
Thomson et West, entreprise britannique, reçut 2 132 livres sterling pour 74 esclaves utilisés dans les opérations logistiques.
Adrien d’Épinay, homme politique, reçut 6 743 livres sterling pour 211 personnes.
Charles Millien, du domaine de Mont Choisy, toucha plus de 14 000 livres sterling pour 509 personnes.
Isabelle Duret, du domaine de Belle Vue Cunier, obtint 3 196 livres sterling pour 121 esclaves.
Madeleine de Chazal, veuve, perçut 7 874 livres sterling pour 263 esclaves.
Céleste Favre, femme affranchie, reçut 37 livres sterling pour une personne qu’elle possédait.
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