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Questions à…

Satyajit Boolell : «Une absence de politique pour donner une seconde chance aux ex-détenus»

19 juillet 2025, 16:00

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Satyajit Boolell : «Une absence de politique pour donner une seconde chance aux ex-détenus»

Satyajit Boolell, président de la National Human Rights Commission. © Aurelio Prudence

Première activité du nouvel exécutif du National Human Rights Commission. C’était le jeudi 17 juillet dernier, pratiquement un mois après la prestation de serment des membres de la commission. À l’occasion du Nelson Mandela International Day, c’est à l’ombre des 27 ans d’emprisonnement de Madiba, que Satyajit Boolell a eu une mention particulière pour le sort des détenus à Maurice.

🟦 «We are wasting the youth of this country» Avec ces mots, prononcés jeudi au centre Nelson Mandela pour la culture africaine, lors de la première activité de votre mandat, vous avez partagé vos inquiétudes au sujet du rajeunissement des détenus.

Absolument. Une division de la commission est chargée d’effectuer des visites pour observer les conditions en prison. Nous avons constaté un rajeunissement de la population carcérale, qui est beaucoup lié à la drogue.

Le gros problème, c’est que ces détenus sont condamnés à des peines de quatre à six mois. Les cours de justice font un travail traditionnel. Cela n’aboutit à rien. C’est comme si la prison était devenue une revolving door, ces détenus rentrent et sortent. La possibilité de réhabilitation et la chance d’une réinsertion dans la société sont totalement éliminées. Ces personnes, à leur sortie de prison, sont stigmatisées. Elles n’ont pas de certificat de moralité. Conséquence : elles n’auront pas la possibilité d’avoir un emploi. Il y a une absence de politique pour leur donner une seconde chance. Avec ce cercle vicieux, au final, on se retrouve avec des criminels professionnels. Les actes répréhensibles deviennent leur quotidien.

🟦 Une fois que ce constat préoccupant est établi, quelle direction la commission compte-t-elle prendre ?

Nous viendrons avec des recommandations, pour des changements dans les lois. Il faut une politique nationale pour la réhabilitation et la réinsertion de ces personnes dans la société, pour qu’elles aient une seconde chance. Il faut se demander comment ces personnes se sont retrouvées en marge de la société. Voilà pourquoi il faut repenser le fonctionnement des cours de justice, surtout les cours de district. Il s’agit de travailler avec la communauté pour comprendre comment aider ces jeunes à retourner vers la société.

🟦 En tant qu’ex-Directeur des Poursuites Publiques, pensez-vous que les cours de district sont équipées pour aller vers la communauté, pour ce travail de réinsertion ?

Non.

🟦 Est-ce qu’il y a le personnel qualifié pour faire cela ?

Non, il n’y en a pas, d’où le besoin de restorative justice. Avons-nous besoin d’un système qui punit les gens plutôt que de les réhabiliter ? Il faut repenser cela.

🟦 À l’opposé des courtes peines, il y aussi les détentions préventives jugées trop longues. Qu’en pensez-vous ?

Du point de vue du citoyen, qui, à ce stade, est toujours présumé innocent, c’est une violation grave de ses droits. Je suis au courant qu’il y a des centaines de cas qui attendent leur procès depuis des années. C’est une injustice très sérieuse. Chacun doit prendre ses responsabilités: la cour, les enquêteurs, la société civile, pour mettre un terme à des délais de six, sept ans, jusqu’à même dix ans.

🟦 Encore un sujet de recommandations pour la commission que vous présidez ?

Oui. Nous allons nous baser sur les chiffres pour démontrer la réalité. Ce sera à tous ceux concernés de trouver des solutions. Le magistrat qui voit qu’un cas a dépassé un délai de deux ans, doit arrêter l’affaire ou bien appeler la police. La solution sera peut-être dans le Police and Criminal Evidence Bill (PACE), qui est attendu. Tout pourrait être codifié.

🟦 Revenons sur le certificat de moralité des ex-détenus, un obstacle pour décrocher un emploi. Quand vous avez été nommé, vous avez déclaré que la commission va voir dans les cas où c’est possible, comment elle peut employer des ex-détenus. Vous maintenez ?

Peu importe le lieu, les qualités d’une personne peuvent satisfaire un employeur. Un employeur voudra savoir si la personne qu’il compte recruter a commis des crimes graves, des agressions sexuelles par exemple. Je comprends: personne n’acceptera d’employer ce type de profil dans son entreprise.

Mais est-ce qu’après dix ans, on peut considérer que quelqu’un a payé sa dette envers la société et on peut lui donner un blank certificate ? Il y aura toujours des exceptions, mais est-ce qu’on peut garder un délit sur le certificat de moralité après 10 ans, 15 ans, 20 ans ? Il faudra trancher.

Au bout du compte, il y a des formations à dispenser pour inciter les employeurs à recruter ces personnes. En proposant des facilités, même des avantages fiscaux. C’est une mentalité qu’il faut changer. On ne peut pas généraliser et bloquer tout le monde. Et décider que par exemple, que si vous avez commis un vol à l’étalage, donc vous êtes foutu jusqu’à la fin de votre vie. Il faudra faire preuve de discernement. Est-ce que l’on élimine les délits mineurs du certificat de moralité ? En donnant une seconde chance, l’employé se sentira peut-être redevable. He will probably be the best employee. C’est cela notre plaidoyer : devenir le porte-parole des gens qui ont fait de la prison et qui subissent un traitement discriminatoire à cause de cela.

🟦 La commission ne peut pas traiter des plaintes datant de plus de deux ans. Est-ce une limite à revoir ?

Cela a été décidé dans le souci de ne pas ouvrir un floodgate. Il y a toujours la possibilité de recommandations, de médiations. Ou de faire un signalement d’une institution concernée. Rien ne va nous intimider.

🟦 A propos d’institution, celle qui défraie la chronique, c’est la police, avec le scandale du Reward Money, ces fortes primes pour des informateurs qui auraient été détournées par des policiers. Quel regard jetez-vous sur cette affaire ?

C’est le cancer qui ronge l’institution, la crédibilité de la force policière et la confiance qu’on aurait dû avoir en elle. Il n’y a pas que le Reward Money, mais aussi des cas de «planting». C’est très grave. Le plus tôt qu’on met en retrait les officiers véreux, le mieux ce sera pour la force policière. Elle doit mériter notre confiance.

Si le public n’a pas confiance dans la police, comment va-t-elle faire son travail de détection de crimes ? L’État de droit sera dévié. Il faut agir. Peut-être qu’il faut se demander ce qui s’est passé avec tous les cas qui ont été référés à la justice.

🟦 Bonne question…

Depuis plus de dix ans. Pour le Reward Money, ce n’est que le tip of the iceberg. On a seulement égratigné le vernis.

🟦 Mardi, le Premier ministre a déclaré au Parlement que plus de Rs 50 millions de Reward Money ont été versées dans les deux mois précédant les élections générales. Votre réaction ?

Le problème dépasse les Rs 50 millions. C’est une somme beaucoup plus conséquente qui a été détournée.

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S’inspirer de Mandela

Pour sa première activité officielle, les nouveaux responsables de la National Human Rights Commission ont choisi le Nelson Mandela International Day. «C’est quelqu’un qui malgré toutes les injustices et les humiliations qu’il a subies n’était pas animé par la vengeance. Il a fait 27 ans de prison. Quand il est sorti, il a voulu réconcilier son pays, après le régime d’apartheid. Bâtir une nation arc-en-ciel, où les droits de chaque citoyen sont respectés. Nelson Mandela est un symbole fort. Il a beaucoup œuvré pour le respect, la dignité dans le traitement des personnes incarcérées. L’une des missions de la commission c’est de s’assurer que les personnes incarcérées soient traitées avec dignité. Que les conditions de leur détention soient humaines», explique Satyajit Boolell.

A venir

Le calendrier d’activités de la commission est esquissé pour les prochains mois. En octobre, une exposition de peintures de détenus est prévue au Hennessy Park Hotel, dans le cadre de la réhabilitation de la réinsertion. Le thème sera : «Donner une seconde chance».

La commission travaille aussi sur sa newsletter, qui devrait notamment aborder la traite des êtres humains, en relation avec les travailleurs migrants. La NHRC poursuit aussi sa collaboration avec des ONG, dont Dis-Moi.

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