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Travailleurs étrangers de Star Knitwear : Au chômage technique, au bord du désespoir
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Travailleurs étrangers de Star Knitwear : Au chômage technique, au bord du désespoir
Ils sont environ 200 travailleurs étrangers, logés dans des dortoirs à Coromandel, à vivre une détresse silencieuse, mais criante. Depuis plus d’un mois, les employés de Star Knitwear, pour la plupart originaires du Bangladesh, de l’Inde et du Sri Lanka, sont au chômage technique. Privés de revenus, abandonnés dans des conditions de vie déplorables, ils s’accrochent à l’espoir d’une solution, les larmes aux yeux, le ventre vide, le cœur lourd.
Mercredi matin à 11 heures. Dans la cour des dortoirs réservés aux hommes, des bruits de marteau résonnent. Quelques ouvriers s’affairent à repeindre les murs, à réparer les toits. Les bâtiments reprennent des couleurs… mais pas ceux qui les habitent. Sur les balcons ou dans la cour, des groupes d’hommes, jeunes pour la plupart, errent en silence ou s’assoient, prostrés, le regard perdu. Mais à la vue de leur représentant syndical, Fayzal Ally Beegun, leurs visages s’éclairent soudainement.
■ Les travailleurs ont envoyé cette photo pour démontrer leurs conditions d’hébergement
Les langues se délient, les voix se chevauchent, en hindi, en bengali ; ils veulent tous parler, raconter, dénoncer. Ils veulent être entendus. Sajar, l’un d’eux, prend la parole au nom de ses compagnons. «Nous vivons dans des conditions insalubres. Ceux qui nettoyaient les dortoirs, les toilettes et les salles de bain ont été remerciés. Alors entre nous, on collecte Rs 15 ou Rs 25 chacun pour payer un Mauricien qui vient faire le ménage une fois par semaine.» Il montre une photo prise sur son portable : celle de l’intérieur de leur chambre. Vingt-quatre lits alignés, dans un espace étroit. La promiscuité est totale.
Mais le plus dur reste l’odeur. Les toilettes, faute d’eau, ne sont plus nettoyées. «On ne peut même pas tirer la chasse. L’odeur se propage dans tout le dortoir», dit un autre, la voix éteinte. Âgé de 35 ans, père de deux enfants restés au Bangladesh, Alamine espérait bâtir un avenir meilleur à Maurice. «Je ne veux pas rentrer. Je veux encore travailler ici. Mais j’attends ma lettre de licenciement, comme tous les autres. Sans ça, je ne peux pas demander un transfert légal.» Depuis un mois et 23 jours, ils sont inactifs. Certains ont cherché du travail ailleurs. En vain. «Les compagnies ne veulent pas nous prendre sans autorisation de l’Immigration. Tout doit être légal. On est bloqués.»
Un seul repas par jour
Mais le pire, selon eux, c’est la faim. Alamine confie, résigné : «Depuis 12 jours, on ne nous donne qu’un repas par jour : du riz et du dholl. On n’est pas végétariens, mais on n’a pas le choix. Et ce repas est servi à 17 heures.» La nuit, ils ont faim. Le matin, ils se lèvent le ventre vide. Ils n’ont pas d’argent pour acheter à manger. «Nous attendons toujours notre salaire.» Les coupures d’électricité n’ont rien arrangé. Pendant plusieurs jours, ils ont dû cuisiner à l’extérieur ou se débrouiller à la lumière du jour.
■ Les travailleurs attendent leur lettre de licenciement pour décrocher un nouvel emploi.
Privés de travail, sans ressources, coupés de leur famille, les travailleurs vivent une forme d’enfermement psychologique. Le téléphone est leur seul lien avec leurs proches. «Certains sont ici depuis huit ou neuf ans. Ils n’attendent qu’une chose : leur billet de retour», confie Sajar. Sortir du dortoir est devenu un risque. Un incident récent les a tous marqués : un des leurs a été attaqué à l’arme blanche, en plein jour, devant le dortoir. «Il a dû être transféré d’urgence à l’hôpital. Depuis, on a peur de sortir.» Et si l’un d’eux tombe malade la nuit ? «On attend jusqu’au matin pour aller au centre de santé. Aucun transport n’est mis à notre disposition.»
Même sort pour les femmes
Chez les travailleuses, le constat est le même. Tasima, qui vit à Maurice depuis cinq ans, a déjà connu la fermeture d’une première usine. Recrutée ensuite par Star Knitwear, elle se retrouve à nouveau au chômage. «Je veux continuer à travailler à Maurice. Je ne veux pas rentrer.» Dans son dortoir, certaines chambres sont toujours privées d’électricité. «Mes collègues vivent à la lueur de leur téléphone ou de bougies.»
Pour Fayzal Ally Beegun, la situation dépasse l’entendement. «Comment en 2025 peut-on encore accepter que des travailleurs étrangers vivent dans de telles conditions ? Ce sont des êtres humains. Ils sont venus ici pour travailler, pas pour mendier.» Le syndicaliste fustige le manque de réactivité des autorités. «Il faut un fonds de soutien. Quand une compagnie est mise en liquidation, les travailleurs ne doivent pas être abandonnés. On doit pouvoir leur verser un minimum pour qu’ils puissent manger.»
■ Tasima explique à Fayzal Ally Beegun qu’elle veut rester à Maurice et trouver un autre emploi.
Le syndicaliste demande au ministère du Travail que les étrangers puissent bénéficier du Workfare Programme, le temps de se relancer ailleurs. «Ce n’est pas à nous, syndicalistes, de collecter de l’argent pour qu’ils puissent acheter une bonbonne de gaz ou avoir de l’électricité. Il y a des responsables pour cela. Où sont-ils ?»
Une dette colossale et une usine à l’arrêt
Star Knitwear Ltd, une entreprise textile jadis florissante, est aujourd’hui incapable d’honorer ses dettes, estimées à environ Rs 1 milliard. La société est en receivership, ses comptes gelés, ses activités suspendues. Fayzal Ally Beegun envisage une démarche plus radicale. Il veut écrire au Premier ministre et ministre des Finances, Navin Ramgoolam, pour demander l’annulation pure et simple de cette dette. «Ce n’est qu’à ce prix que la relance pourrait être possible, ou qu’au moins, les travailleurs pourraient être payés.»
■ Les dortoirs des travailleurs étrangers de Star Knitwear à Coromandel.
Ce drame humain soulève une question de fond : comment un pays qui veut attirer des investissements étrangers peut-il traiter ses travailleurs de la sorte ? Fayzal Ally Beegun est catégorique : «Cette situation ne fait pas honneur à Maurice.» Dans les dortoirs de Coromandel, entre balcons défraîchis et chambres surpeuplées, des centaines de voix cherchent à ne pas sombrer dans l’oubli. Celles d’hommes et de femmes venus construire leur avenir ici. Et qui, aujourd’hui, demandent simplement à vivre dans la dignité.
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