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Chagos

Un accord imparfait mais stratégique, conclut la Chambre des Lords

28 juin 2025, 16:00

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Un accord imparfait mais stratégique, conclut la Chambre des Lords

■ Les Chagossiens vivant au Royaume-Uni manifestent disant qu’ils n’ont pas été consultés.

Le traité de souveraineté signé entre le Royaume-Uni et Maurice sur l’archipel des Chagos est loin de faire l’unanimité, mais il reste selon la Chambre des Lords, un compromis essentiel. Dans son rapport publié, le 25 juin 2025, l’International Agreements Committee (IAC) affirme que, malgré ses lacunes, l’accord protège à long terme le bon fonctionnement de la base militaire de Diego Garcia, considérée comme un élément critique de la sécurité du Royaume-Uni et de son alliés, les États-Unis.

Ce comité reconnaît que ce traité n’est pas parfait. Il insiste néanmoins sur le fait qu’un rejet de sa ratification exposerait le Royaume-Uni à un risque juridique accru. Si l’accord échoue, Maurice pourrait relancer sa campagne internationale en vue d’obtenir un jugement contraignant sur la souveraineté de l’archipel. Selon les témoignages recueillis, aucun tribunal international ne serait susceptible de trancher en faveur de Londres. L’accord apparaît donc comme un moyen de stabiliser une situation diplomatique et juridique devenue intenable depuis l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice (CIJ) en 2019.

Cet avis, bien que non contraignant, a conclu que le Royaume-Uni avait illégalement détaché les Chagos de Maurice au moment de son indépendance. Pour Lord Goldsmith, président du comité, il serait incohérent que le Royaume-Uni prétende défendre l’ordre international fondé sur le droit, tout en refusant de respecter un avis aussi largement soutenu. Il admet cependant que le traité impose un coût élevé au contribuable britannique, sans pour autant garantir aux Chagossiens un droit de retour ni une extension de l’accord au-delà des 99 ans prévus.

L’un des points les plus sensibles soulevés par le rapport concerne précisément le sort de la communauté chagossienne. L’IAC déplore que leurs intérêts aient été perçus comme subordonnés aux impératifs stratégiques du RoyaumeUni. Il regrette notamment que les négociations n’aient pas suffisamment pris en compte les aspirations des Chagossiens à une réinstallation dans les îles, ni leurs perspectives d’emploi sur la base militaire. Il appelle le gouvernement britannique à engager, sans tarder, des discussions avec Maurice en vue d’un programme de retour, y compris pour les membres de la diaspora chagossienne établis au Royaume-Uni.

Le rapport demande aussi des éclaircissements sur la gestion du fonds fiduciaire mis en place pour cette communauté, notamment sur les modalités de consultation des bénéficiaires et sur la possibilité pour les Chagossiens vivant au RoyaumeUni d’y avoir accès. Il insiste enfin sur la nécessité de mettre en place des mécanismes de transparence et de reddition de comptes pour assurer une allocation équitable de la subvention de développement de 101 millions de livres sterling, destinée à financer des projets économiques et sociaux à Maurice.

Enfin, Lord Goldsmith critique vertement le manque de temps accordé à son comité pour examiner ce traité controversé et complexe. Il plaide pour une réforme urgente du contrôle parlementaire des accords internationaux, jugeant le processus actuel déficient et indigne d’un système démocratique robuste.

Le Royaume-Uni sans issue juridique selon Sir Christopher Greenwood

L’ancien juge à la CIJ, Sir Christopher Greenwood, a affirmé devant l’IAC International de la Chambre des Lords que le RoyaumeUni n’avait pratiquement «aucune chance» de remporter un éventuel litige international concernant la souveraineté sur l’archipel des Chagos. Dans un témoignage, il a soutenu que la position britannique est juridiquement intenable face aux arguments de Maurice, soutenus depuis plusieurs années par des résolutions onusiennes et des décisions judiciaires non contraignantes mais influentes.

Sir Christopher Greenwood est revenu sur l’avis consultatif de la CIJ, rendu en 2019, qualifié de «source qui fait autorité». Il a rappelé que cette décision avait établi que le RoyaumeUni avait illégalement détaché les Chagos de Maurice en 1965, au mépris du droit à l’autodétermination. Il a ajouté que la résolution 73/295 de l’Assemblée générale de l’ONU confirme le consensus de la communauté internationale contre la position de Londres. En ce sens, il a estimé qu’aucun tribunal n’irait à l’encontre de ces conclusions en cas de litige sur la souveraineté.

Évoquant l’affaire ITLOS opposant Maurice aux Maldives, Sir Christopher Greenwood a noté que même si le Royaume-Uni n’était pas partie prenante de la procédure, le tribunal avait implicitement reconnu la souveraineté mauricienne. Cette reconnaissance a permis de fixer une frontière maritime au bénéfice de Maurice, soulignant le poids croissant de cette interprétation auprès des instances internationales.

Concernant le traité signé mais pas encore ratifié entre Maurice et le Royaume-Uni, Sir Christopher Greenwood a souligné que l’article 1 est rédigé de manière ambiguë afin de concilier deux récits opposés : Maurice y affirme avoir toujours été souverain tandis que le Royaume-Uni parle de transfert. Selon lui, cette ambiguïté disparaîtrait en cas de ratification mais pourrait être interprétée comme une reconnaissance implicite des droits de Maurice si l’accord n’est pas entériné. Il a également évoqué les recours juridiques qui resteraient ouverts à Maurice, notamment un arbitrage en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer ou encore une plainte basée sur un traité multilatéral. Ce risque juridique est, selon lui, bien réel si le traité est rejeté.

Abordant la question des droits des Chagossiens, il a reconnu que leur expulsion fut un «épisode honteux» dans l’histoire du Royaume-Uni. Il a cependant précisé que, selon le droit international, le droit à l’autodétermination s’appliquait à l’ensemble de la colonie mauricienne et non à un groupe spécifique. Il a aussi souligné que Maurice n’était pas irréprochable dans ce dossier.

Le juriste a détaillé les clauses strictes de résiliation du traité, limitées au non-versement des fonds convenus ou à une attaque militaire lancée depuis Diego Garcia contre Maurice. Il a insisté sur le caractère mutuel de l’engagement : Maurice garantit l’accès à la base pour 99 ans, et le Royaume-Uni s’engage à effectuer les paiements sur cette période, même si la base devenait obsolète.

Enfin, Sir Christopher Greenwood a averti qu’un refus de ratification du traité minerait la crédibilité du Royaume-Uni, en contradiction avec sa posture de défenseur du droit international. Le ministre Stephen Doughty a, de son côté, réaffirmé que l’accord était crucial pour préserver la sécurité nationale, tout en respectant le droit international. Le gouvernement prévoit de soumettre prochainement un projet de loi pour acter le transfert de souveraineté, la fin du British Indian Ocean Territory et les questions liées à la citoyenneté.

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Nouveau recours judiciaire britannique contre l’accord avec Maurice

Selon «The Telegraph», des militants ont engagé une procédure de «judicial review» auprès de la Haute Cour de Londres pour contester la signature de l’accord sans avoir consulté la communauté chagossienne. Cette initiative est portée par le groupe Great British PAC et soutenue par les députés conservateurs, qui accusent le Premier ministre Keir Starmer d’avoir cédé «les îles sans tenir compte des descendants expulsés», ce que «The Telegraph» qualifie d’«indictment dévastateur» pour le leader travailliste. L’audience est prévue le mois prochain et l’enjeu est de taille : stopper la ratification définitive d’un traité jugé précipité et déficient en termes de transparence par rapport aux droits des Chagossiens.

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