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Affaire des valises

«Week-End Court» : le marathon judiciaire de Pravind Jugnauth suscite des interrogations

18 février 2025, 15:00

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«Week-End Court» : le marathon judiciaire de Pravind Jugnauth suscite des interrogations

La séance entourant la motion de Pravind Jugnauth, qui réclamait sa mise en liberté le dimanche 17 février à la suite de son arrestation dans la nuit de samedi par la Financial Crimes Commission, suscite de nombreuses interrogations. La question qui se pose est la suivante : est-il normal qu’une cour siège toute une journée et jusqu’à minuit pour entendre des plaidoiries et rendre un jugement un dimanche ? Retour sur cet événement particulier…

Dimanche, vers 12 h 30, la défense présente une motion de mise en liberté à laquelle la police objecte aussitôt. Le représentant du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) est sollicité pour mener les débats. Ces derniers débutent à 14 heures et se poursuivent jusqu’à 17 heures. À l’issue de cette session, la cour est levée, mais aucune indication n’est donnée quant à l’heure à laquelle la décision sera rendue.

Ce n’est qu’après 23 h 30 que la décision est finalement prononcée par le magistrat de la Week-End Court. Mais la question se pose : les procédures mises en place ont-elles favorisé le suspect, Pravind Jugnauth, en permettant que tout se fasse dans la même journée, jusqu’à minuit, avec une déclaration en fin de séance du représentant du DPP affirmant qu’il ne ferait pas appel ?

Normalement, dans la semaine, dans le cadre d’une arrestation où la police objecte à la mise en liberté d’un suspect, la défense présente sa motion et une date est fixée ultérieurement pour entendre les arguments. Le suspect est alors conduit en cellule, en attendant que la cour examine les pièces de l’enquête, notamment les procès-verbaux des enquêteurs. La magistrature doit alors s’appuyer sur des jugements antérieurs pour motiver sa décision quant à la mise en liberté du suspect, tout en tenant compte de l’objection de l’enquêteur.

Dans ce cas précis, explique-t-on, l’objectif de la mise en place d’une Week-End Court est de traiter la motion aussi rapidement que possible afin de ne pas pénaliser le suspect. Cela permet d’organiser une séance pendant le week-end, comme l’indique le nom même, un dispositif qui n’existait pas auparavant, où les audiences se tenaient uniquement en semaine. «Cela est fait pour ne pas laisser le suspect dans une situation où il serait trop pénalisé», explique un avocat d’un prestigieux cabinet.

Cependant, ses confrères soulignent que ces séances devraient normalement se terminer au plus tard à 17 heures le dimanche ou à 20 heures dans les affaires complexes de haute importance, comme dans le cas de Shakeel Mohamed dans l’affaire Gorah Issac ou de Navin Ramgoolam et Veekram Bhunjun dans l’affaire Betamax. À titre de rappel, en mai 2015, dans une affaire de blanchiment d’argent, Navin Ramgoolam, ancien Premier ministre à l’époque et maintenant nouveau Premier ministre, avait dû attendre jusqu’au lendemain pour connaître le sort de sa motion.

Interrogé sur la question de savoir s’il est courant que la Week-End Court peut siéger jusqu’à minuit un dimanche et les circonstances dans lesquelles une telle situation pourrait être légalement justifiée, Me Imtihaz Mamoojee répond : «Durant mes 30 années au barreau, c’est la première fois que je note qu’une cour de justice siège jusqu’à minuit. Je pense que le magistrat a estimé qu’il était dans l’intérêt de la justice de rendre son jugement à une heure aussi tardive. Je suppose également que le magistrat a dû obtenir l’autorisation du Master and Registrar de la Cour suprême puisque les horaires officiels de nos cours sont de 9 h 30 à 15 h 30.»

Il ajoute que, désormais, tout citoyen pourrait exiger le même traitement car la séance marathon de dimanche a créé un précédent. «Nous sommes tous égaux dans un État de droit. Si je ne me trompe pas, la première libération sous caution de Navin Ramgoolam en février 2015 était aussi tard dans l’après-midi mais certainement pas à minuit.»

Une ancienne magistrate, quant à elle, estime qu’une autorisation préalable du Master and Registrar est indispensable pour siéger si tard dans la nuit. Elle s’interroge également sur la raison pour laquelle le magistrat a pris autant de temps pour rédiger un jugement de 13 pages.

«Il faut noter que les fonctionnaires, y compris les policiers et le personnel judiciaire, sont payés double lorsqu’ils travaillent un dimanche. Pourquoi faire une exception pour Pravind Jugnauth alors que le jugement aurait dû être rendu plus tard pour permettre une étude approfondie du témoignage des enquêteurs, qui ont passé un long moment en cour dimanche ?» Elle ajoute que dans une affaire d’une telle envergure, qui concerne un cas de blanchiment d’argent, il serait normal que la magistrature prenne le temps nécessaire pour que l’enquête progresse davantage.

Sollicité, le Senior Counsel, Me Rishi Pursem, estime qu’il est positif que la cour puisse tenir des séances à ce rythme. «C’est une bonne chose si désormais à Maurice, nous parvenons à ce rythme, mais cela doit s’appliquer à tout le monde, c’est-à-dire à tous les suspects», déclare-t-il. Selon lui, il faut désormais démontrer qu’il n’y a pas de justice à deux vitesses après cette longue séance impliquant un ancien Premier ministre.

Un autre ténor du barreau se dit, pour sa part, surpris d’apprendre qu’un jugement de bail ait été prononcé à une heure aussi tardive. «C’est regrettable que le magistrat ait mis six heures pour rendre son jugement, obligeant tout le monde à attendre. Mais ce qu’il aurait dû faire, c’est rendre sa décision en indiquant simplement que le suspect est libéré sous certaines conditions, tout en réservant le droit de motiver sa décision plus tard, étant donné l’heure tardive.» Selon cet avocat, c’est la première fois, dans sa longue carrière, qu’il voit une séance durer jusqu’à minuit. «La Week-End Court devrait se terminer à l’heure normale, soit jusqu’à 16 heures environ. Cela ne signifie pas pour autant que le magistrat peut siéger jusqu’à cette heure», fustige l’homme de loi.

Un autre avocat témoigne : «J’ai présenté plusieurs motions de mise en liberté, qui ont été débattues le même jour mais celles-ci concernaient des cas mineurs de vol.»

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