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«Finance (Miscellaneous Provisions) Bill 2025»

Une réforme fiscale à la croisée des chemins, selon les experts fiscaux

29 juillet 2025, 17:00

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Une réforme fiscale à la croisée des chemins, selon les experts fiscaux

Dheerend Puholoo, «Tax Leader» chez PwC et Wasoudeo Balloo, «Head of Tax» chez KPMG.

Le Finance (Miscellaneous Provisions) Bill 2025, censé traduire dans la loi les mesures annoncées lors du Budget 2025-2026, fait l’objet d’analyses techniques approfondies par les experts fiscaux des grands cabinets. Les lectures croisées et les éclairages de deux experts fiscaux, Wasoudeo Balloo, Head of Tax chez KPMG, et Dheerend Puholoo, Tax Leader chez Price Waterhouse Coopers (PwC), révèlent à la fois l’ambition de transformation du gouvernement mauricien, et les zones d’ombre d’un projet à la fois contraint par les impératifs budgétaires et les exigences de conformité internationale. Si des avancées notables sont saluées, les deux experts s’accordent à pointer les risques de complexité, de désincitation économique et d’incohérences structurelles.

La Fair Share Contribution demeure une mesure phare, voire symbolique, et la plus débattue du Finance Bill, estiment les deux Big Four. Présentée comme un levier d’équité fiscale, la Fair Share Contribution instaure une contribution additionnelle de 15 % sur les revenus très élevés. Ainsi, pour les individus, à partir de Rs 12 millions de revenu annuel, la charge fiscale effective peut atteindre 35 %. Quant aux non-Global Business Companies, elle s’applique dès Rs 24 millions de revenu imposable annuel, mais sur l’ensemble du revenu, pas seulement sur l’excédent.

Wasoudeo Balloo met en lumière une ambiguïté juridique importante : cette contribution n’étant pas classifiée comme une income tax au sens strict, son éligibilité au crédit d’impôt étranger dans le cadre des conventions fiscales bilatérales reste incertaine. Cela pourrait défavoriser les contribuables internationaux, notamment ceux domiciliés dans des juridictions à fiscalité élevée.

Par ailleurs, l’effet de seuil rétroactif pour les entreprises est jugé injuste : alors que la base d’application progressive a été ajustée pour les particuliers, elle ne l’a pas été pour les sociétés, provoquant un effet pénalisant disproportionné dès que le seuil est franchi. Wasoudeo Balloo recommande donc une révision urgente de ce mécanisme pour rétablir un équilibre.

Tout en reconnaissant l’intention redistributive de cette mesure, Dheerend Puholoo souligne de son côté ses effets potentiellement dissuasifs pour l’investissement privé, notamment dans les secteurs à forte valeur ajoutée comme les services financiers et ceux des technologies de l’information et de la communication. Il s’inquiète d’un risque de double imposition, notamment sur les dividendes déjà soumis à l’impôt au niveau de l’entreprise.

L’entrée en vigueur de la Qualified Domestic Minimum Top-up Tax (QDMTT) à partir de l’année fiscale 2025-2026 marque un tournant stratégique pour Maurice. Ce mécanisme, inspiré du Pilier Deux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (GloBE Rules), impose aux multinationales un taux d’imposition effectif minimum de 15 %.

Wasoudeo Balloo souligne que cette mesure videra de leur substance de nombreux régimes fiscaux incitatifs qui faisaient jusqu’ici l’attractivité de Maurice : exemptions partielles, crédits d’impôt non remboursables, régimes de tax holiday, etc. Il appelle les entreprises à effectuer un diagnostic proactif de leur exposition et invite les autorités à repenser un nouveau cadre incitatif conforme aux normes mondiales.

Dheerend Puholoo s’interroge, pour sa part, sur le fait que la mise en œuvre de la QDMTT soit prématurée. Les grandes économies comme les États-Unis, la Chine ou l’Inde, dit-il, n’ont pas encore activé pleinement ces règles, ce qui risque de placer Maurice en décalage stratégique.

Au-delà de la QDMTT, le Finance Bill introduit une taxe additionnelle sur les grandes entreprises. Celles qui déclarent un revenu imposable supérieur à Rs 24 millions seront soumises à une charge fiscale additionnelle allant jusqu’à 5 %, voire 7,5 % pour les banques. Cette mesure est perçue comme un signal fiscal négatif à l’égard du secteur privé, en contradiction avec l’agenda de relance économique.

Pour PwC, ce choix renforce une approche de «fiscalité défensive», fondée sur l’élargissement de l’assiette plutôt que sur une transformation en profondeur du régime économique, et souligne le manque de stabilité et de lisibilité du cadre fiscal, deux éléments clés pour attirer des investissements productifs à long terme.

Parmi les mesures techniques introduites par le Finance Bill2025, plusieurs sont saluées pour leur alignement avec les meilleures pratiques internationales – tout en soulevant des enjeux d’opérationnalisation. Il s’agit notamment de la documentation des prix de transfert, où les entreprises devront désormais fournir des preuves sur la conformité de leurs transactions intra-groupe aux prix du marché. Pour l’expert fiscal Balloo, c’est un outil de lutte contre l’érosion de la base d’imposition, mais qui exigera un cadre réglementaire clair et des ressources humaines compétentes à la Mauritius Revenue Authority (MRA).

Idem pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les services numériques, qui exigera des fournisseurs étrangers qu’ils s’enregistrent à Maurice et appliquent la TVA, sauf si le client local est déjà inscrit et applique le mécanisme reverse charge. Il recommande une simplification inspirée du modèle kényan, jugé plus prévisible. Pour ce qui est de la taxation immobilière des non-citoyens, c’est une taxe de 10 % qui s’appliquera à compter du 1er juillet 2026 sur les transactions immobilières. Toutefois, la proposition initiale d’imposition sur la plus-value ou la valeur du bien a été abandonnée. Une démarche, selon lui, qui risque d’alimenter les tensions sur la justice fiscale dans le secteur de l’immobilier de luxe.

Le Tax Arrears Settlement Scheme est prolongé jusqu’au 30 novembre, offrant une amnistie complète sur pénalités et intérêts pour les dettes fiscales au 30 juin. L’expert fiscal de KPMG juge positive cette mesure, mais il la trouve timide, d’autant que les pouvoirs d’enquête de la MRA restent limités à trois ans pour l’impôt sur le revenu et deux ans pour la TVA, ce qui pourrait affaiblir les capacités de redressement.

PwC, de son côté, salue certaines mesures de modernisation du secteur financier : l’extension de l’exonération fiscale de 80 % aux Virtual Asset Service Providers ; l’introduction du bullion banking, permettant aux banques de gérer des métaux précieux ; et la reconnaissance légale des bills of exchange électroniques, qui ouvre la voie à une digitalisation accrue des transactions commerciales.

Mais ces avancées restent insuffisantes, selon Dheerend Puholoo. Il note l’absence de réforme majeure sur la finance durable, l’économie verte et les crypto-dérivés. De même, la structuration des family offices n’a encore été concrétisée, explique-t-il, malgré les annonces du discours budgétaire.

Les analyses croisées de KPMG et PwC convergent sur une conclusion partagée : le Finance Bill 2025 affiche une volonté de réforme, mais manque d’audace stratégique. Il s’agit d’un texte techniquement dense mais politiquement prudent, qui privilégie la conformité et la discipline budgétaire, tout en négligeant la construction d’un modèle fiscal de long terme.

Les risques identifiés sont nombreux : complexité croissante, charge administrative élevée, perte d’attractivité pour les investisseurs, flou juridique autour de certaines contributions et absence de vision sectorielle pour positionner Maurice dans les chaînes de valeur globales.

Maurice semble ainsi à la croisée des chemins : soit elle poursuit une trajectoire de prudence fiscale, en élargissant l’assiette sans réformer en profondeur ; soit elle ose une refonte structurelle de sa fiscalité pour la rendre plus compétitive, équitable et durable dans un monde en mutation.

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